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Article
Albert Camus au Quotidien
Romantic Review (2015)
  • Jason Herbeck, Boise State University
Abstract
Dans l’une des toutes premières pages de ses Cahiers, publiés à titre posthume chez Gallimard sous le nom de Carnets, Albert Camus écrit en mars 1936 : « Journée traversée de nuages et de soleil. Un froid pailleté de jaune. Je devrais faire un cahier du temps de chaque jour » (Œuvres complètes d’Albert Camus, Gallimard, Collection de la Pléiade, vol. II, 2006, 802). Cette petite réflexion, laquelle constitue l’ensemble de la note, se poursuit et se termine ainsi : « Ce beau soleil transparent d’hier, la baie tremblante de lumière - comme une lèvre humide. Et j’ai travaillé tout le jour. » Ne serait-ce qu’à partir de cette introspection soi-disant passagère de l’écrivain, l’on pourrait en déduire que, pour Camus, le travail représentait une fâcheuse interruption survenue dans l’appréciation de l’immédiat. Une autre réflexion datée d’avril 1938 semblerait d’ailleurs confirmer cette impression : « [I]l y a une chance sur dix d’échapper à la plus sordide et la plus misérable des conditions : celle de l’homme qui travaille » (OC II, 850). Or, quelques lignes plus loin, on trouve - et c’est Camus qui souligne : « Noter tous les jours dans ce cahier : Dans deux ans écrire une œuvre. » En ce qui concerne sa vie d’homme et son travail d’écrivain, il y aurait donc chez Camus une conviction fondamentale selon laquelle il faut, pour réussir à l’une comme à l’autre, s’y atteler de manière assidue dans l’au-jour-le-jour. Même si, à en croire Raymond Gay-Crosier, « la notation quotidienne [dans les Carnets] ne sera pas suivie » (Lire les Carnets d’Albert Camus, Septentrion, 2012,15), force est de constater que la place et le poids, voire la préoccupation du quotidien en tant que tel n’échappe pas à Camus. Le quotidien représente à la fois ce qui est routinier, habituel et banal, et, une fois qu’on en est conscient, autant d’instants précieux et éphémères que l’on se doit de reconnaître au moment même, faute de pouvoir les revivre. Aussi, dès son roman inachevé écrit entre 1936 et 1938, La Mort heureuse, Camus situe-t-il le protagoniste et ses colocataires dans une Maison devant le Monde, d’où ils peuvent apprécier de près le déroulement de chaque jour : « À vivre ainsi devant le monde, à éprouver son poids, à voir tous les jours son visage s’éclairer, puis s’éteindre pour le lendemain brûler de toute sa jeunesse, les quatre habitants de la maison avaient conscience d’une présence qui leur était à la fois un juge et une justification. » (OC 1,1156) Quant à la valeur potentielle du quotidien, toute la pensée philosophique camusienne en témoigne - depuis Le Mythe du Sisyphe dont le héros éponyme, emblème de l’homme absurde, s’avère supérieur à son destin du fait que, « à chacun de ces instants », il « est toujours en marche » (OC I, 302, 304), jusqu’à l’essai L’Homme révolté dans lequel le cogito formulé par Camus campe celui qui se révolte au présent de l’action : « Je me révolte, donc nous sommes » (OC III, 79). Et Camus de préciser : « Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. À partir du moment de révolte, elle a conscience d’être collective, elle est l’aventure de tous. » (ibid., c’est nous qui soulignons.)
Publication Date
January, 2015
Citation Information
Jason Herbeck. "Albert Camus au Quotidien" Romantic Review Vol. 106 Iss. 1-4 (2015) p. 217 - 221 ISSN: 00358118
Available at: http://works.bepress.com/jason_herbeck/36/